Le ventre est notre second cerveau.
Dans les laboratoires de recherche, les souriceaux nouveau-nés ont donné des réponses troublantes quant au rôle des bactéries sur le développement et le fonctionnement des organes. Par exemple, soumis à un stress (séparation d’avec la mère), puis gavé d’une bactérie spécifique, Lactobacillus fermentum, le bébé rat a montré une amélioration des altérations des fonctions digestives et cérébrales induites par ce stress, c’est-à-dire que, contrairement à ses camarades placebos, sa barrière épithéliale intestinale est restée intacte et ses fonctions d’apprentissage ont été améliorées. Logiquement, il aurait dû se retrouver chamboulé par cet arrachement à sa mère, avec des fonctions cognitives et digestives diminuées. Grâce à cet apport dans son minuscule intestin, il a pu compenser le trauma.
Parkinson pourrait se développer à la manière de la maladie du prion
Le directeur de recherche de l’Inserm de l’unité TENS de Nantes, Michel Neunlist, est formel : « Le ventre est notre second cerveau ». Il n’avait pas besoin de cette étude pour le savoir. Ce spécialiste de l’Institut des maladies de l’appareil digestif travaille sur ces questions depuis 1996. « L’intestin a son propre système nerveux qui est très complexe et très dense, explique-t-il. De plus, de nombreuses données confirment le lien entre intestin et cerveau ». Voilà, c’est clair. On le constate chez certains enfants autistes (lire nos témoignages), mais on pourrait bien aussi l’observer dans d’autres maladies du cerveau, telles que Parkinson par exemple. « Quinze ans avant l’apparition de la maladie, l’individu a souvent des symptômes prémoteurs, baisse de l’odorat, troubles du sommeil, de la digestion, essentiellement constipation. Les troubles digestifs pourraient résulter d’une atteinte précoce ou d’une sensibilité accrue du système nerveux entérique aux facteurs déclenchant la maladie », indique encore Michel Neunlist. Plus scientifiquement, il vous explique que Parkinson pourrait se développer à la manière de la maladie du prion. Une protéine impliquée dans la neurotransmission, l’alpha-synucléine, deviendrait anormale.
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Les raisons en seraient diverses : « Le stress inflammatoire ou oxydant, des virus, des bactéries, certains pesticides, comme la roténone, pourraient métamorphoser les protéines nécessaires au fonctionnement des neurones en protéines toxiques qui, ensuite, se propageraient de neurone en neurone », poursuit le Dr Neunlist. Et comme l’intestin est doté d’un important système nerveux, ces modifications pourraient conduire à des troubles digestifs. D’autre part, l’intestin est aussi connecté au cerveau par voie nerveuse (en particulier avec le nerf vague) ou sanguine, ce qui permettrait aux protéines toxiques d’entraîner une dégénérescence des neurones. Un tel mécanisme pourrait aussi se produire dans d’autres maladies, comme Alzheimer.
L’exposition de notre intestin aux polluants pourrait jouer un rôle majeur dans l’explosion actuelle des maladies chroniques.
Pourquoi certains individus exposés à ces facteurs toxiques déclenchent une maladie et d’autres pas ? Réponse de Michel Neunlist : « Ces pathologies sont multifactorielles et encore mal comprises. Elles sont dues aux expositions à des facteurs environnementaux durant des fenêtres de temps variables. Accompagnées de facteurs génétiques de susceptibilité qui varient également. Ainsi, l’exposition de notre intestin (véritable interface avec notre environnement) et de son microbiote aux polluants pourrait jouer un rôle majeur dans l’explosion actuelle des maladies chroniques. C’est pourquoi limiter notre exposition aux risques devient un enjeu majeur de santé publique ».
Et avant toute chose, nous devons protéger et renforcer notre système immunitaire. Pour cela, il faut que la barrière intestinale reste suffisamment étanche, tout en assurant les échanges nutritifs vers le sang et la lymphe. Entre ses plis, replis, villosités, microvillosités, chacun dédié à une fonction, on s’aperçoit que l’intestin grêle est une sacrée usine de tri. « Le système nerveux de l’intestin ne sert pas qu’à la propulsion du contenu intestinal, ajoute Michel Neunlist. Il contrôle aussi les fonctions de la barrière intestinale et même le système immunitaire. D’ailleurs, des études en cours (par exemple dans la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique) visent à démontrer l’efficacité de la neurostimulation digestive pour réparer la muqueuse intestinale. Plusieurs analyses cliniques montrent que, avec un microbiote déséquilibré, l’intestin, son système nerveux et le cerveau fonctionnent mal. Ainsi, des modifications du microbiote peuvent induire des altérations du nombre et du fonctionnement des neurones, qui peuvent être restaurés par un microbiote sain, en particulier durant la période périnatale ». Mais attention, cette « grande plasticité intestinale » n’est pas éternelle : chez l’Homme, elle intervient seulement durant les premières années de la vie. Après, c’est à nous de ne pas l’endommager et de préserver notre capital santé.
Michel Neunlist montre des IRM animées où l’on observe le circuit neurologique qui transite de la moelle épinière à l’intestin au stade du fœtus ! Fascinant et un peu angoissant car on mesure l’impact d’une alimentation malsaine sur notre cerveau, la terrifiante maladie d’Alzheimer en ligne de mire. Comme l’explique le Pr Perlemuter, « les métabolites fabriqués par nos bactéries vont dans tous les organes, y compris dans le cerveau ». Pour anticiper et cerner nos risques, les chercheurs en viennent à conclure que des analyses individuelles sont indispensables pour mieux connaître notre microbiote et ses défauts, c’est-à-dire comment les aliments et les polluants peuvent le modifier. Sang, urines, selles et tests d’allergie, c’est long et fastidieux. Ce fut le parcours du combattant des parents d’enfants autistes qui témoignent ici. Ils ont ouvert la voie. Aux scientifiques et à nous d’en profiter.